Beverly Hills Hotel

La plupart des personnes présentes à l’évènement sont également des mécènes de moyennes fortunes prenant le lord Harell en guise de modèle de « générosité ». C’est une de ses personnes qu’Irving semble attiré. Deux pour être plus exacte. Un couple composé d’un homme et d’une femme d’une quarantaine d’année. L’homme porte un costume qui est presque, pour ainsi dire, le dress-code de l’événement bien que tout le monde ne le respecte pas tandis que la femme à son bras porte une robe brillante qui n’est pas sans rappeler la couleur du satin.

- Vous peignez depuis longtemps ? Quelle est la signification de tous ces oiseaux, monsieur Crane ?

Prononce l’homme en direction du peintre symbolique.

Mais monsieur Crane n’est pas le seul à attirer son lot de curieux. En effet, un homme aussi en costume mais à la cravate desserrée est bien plus jeune environ d’une vingtaine d’année. Surement un fils à papa qui s’est retrouvé grâce à ses contacts à cet événement. L’homme à l’air ravager et pue, rien qu’en ouvrant la bouche, le whisky. Une odeur bien familière à Joseph.

- Vous êtes prêtre c’est ça ?

L’homme regarde à gauche puis à droite pour ne pas paraitre suspect avant de chuchoter à l’oreille du protestant.

- Vous avez déjà pratiqué un exorcisme ?


Mademoiselle Iavonaski n’est pas en reste rassemblant son lot d’admirateurs bien plus raffinés. Totalement concentrée sur sa performance, elle ressent comme à son habitude une présence à ses côtés lui rappelant des moments chaleureux. Lorsque l’orchestre finit le premier morceau, qui a duré une trentaine de minutes, de timides applaudissements se font entendre dans la salle. Le chef d’orchestre effectue un bref hochement de tête. Cela signifie, comme elle le sait, que la fine fleure du groupe doit effectuer une performance, seule, de cinq minutes pendant que le reste se réorganise pour le prochain morceau d’ambiance.

Daisy, quant à elle, est une curiosité également à cette luxueuse assemblée. Plusieurs d’hommes d’affaires se dirigent vers elle avide de questions et surtout de réponses.

- Madame Funderburker ?

Un homme assez vieux lui apporte un verre de champagne aussitôt le sien vide. L’homme est suivit de plusieurs des siens ayant les mêmes interrogations.

- Il n’est pas étonnant de voir une personne telle que vous à ce genre de cérémonies. Je ne crois pas en toutes les balivernes à votre propos. Tout ce qui m’intéresse c’est votre méthode.

Sortant son briquet pour allumer un de ses cigares et transformer comme chacun de ses mots en une épaisse fumée.

- Comment fais-ton pour devenir aussi riche aussi rapidement ?

Dans un premier mouvement de tête lent et désintéressé, Joseph porte son attention sur le nouvel arrivant qu’il ne semblait juger ni à l’apparence, ni à l’odeur. En effet, son sourire satisfait avait disparu pour laisser sa place à une mine plus bienveillante, accueillant le jeune homme venu à sa rencontre. Après avoir avalé le fameux petit four, le trentenaire reprend son interlocuteur sans sévérité.

- Pasteur. Les prêtres sont catholiques.

Tandis qu’il s’apprêtait à enchaîner, son oreille réagit à la mélodie résonnant dans la pièce. Ses yeux se mettent alors à se balader de musicien en musicien, à la recherche de la personne responsable de ces merveilleuses notes. Après ce court silence et une fois qu’il l’aura repérée, le pasteur reprend sa discussion sans pour autant la lâcher du regard.

- Ce n’est pas le genre de question que l’on pose monsieur. Mais sachez que seul très peu d’entre-nous ne sont autorisés, et formés, à cette pratique.

La démarche de la douce Daisy, lente et parfaitement calculée semblait avoir eu l'effet escompté puisque bientôt sa solitude la quitta. Déjà quelques flûtes avaient été vidées et les effets de l'alcool rendait son monde plus joyeux.

-Messieurs?

D'une manière à peine naturelle et légèrement hautaine, elle se tourna vers les curieux qu'elle avait guidé jusque dans ses filets. Son regard de glace toisa les hommes qui étaient venu lui tenir compagnie, examinant avec un malin plaisir les pauvres ignorants. Le sourire au creux de ses lèvres en attestait.

-Avoir épousé un homme talentueux !

Daisy se mit à rire avec une main devant la bouche mais elle se ravisa vite en un air tragique qui était plus en accord avec la situation. Elle saisit la coupe qu'on lui proposait sans se faire prier et fit quelques pas, obligeant cet homme au cigare -et tous ceux qui suivaient derrière - à prendre la même direction si il voulait une réponse à sa question. Rien d'original encore une fois. On l'abordait rarement pour ses beaux yeux; son argent était bien plus agréable à voir.  En dehors des billets verts, si il y avait une chose que les gens aimaient par dessus tout, c'était bien les rumeurs.

-Vous savez, nombreux sont ceux à me poser cette question. Pourquoi est-ce que je dévoilerais mon secret à vous et pas à un autre? Qu'avez vous de plus à m'offrir?

Il faut croire qu'il avait assez de talent pour avoir attiré quelques bougres fortunés. Les yeux d'Irving ne s'attardent cependant ni sur le costume réglementaire de son interlocuteur, ni sur la robe satinée de sa femme, ni même vraiment sur leurs visages. Le jeune homme n'était pas vraiment là, semblait-il. Occupé ailleurs, cherchant quelque chose? Quelqu'un ? L'instant entre la question et sa réponse semblait presque longue, mais pas encore impoli.

Eh bien...

Sa voix légèrement enrouée donnait l'impression qu'il n'avait pas ouvert la bouche depuis un certain temps. On pouvait se demander s'il n'était qu'un passant qui avait vu de la lumière à travers une porte et s'était retrouvé au milieu du salon, si ce n'est ses tableaux le rattachant à cette réalité.

... Des années, peut-être. Une réécriture imagée de vieux poèmes perses....

La balade de son regard termina ses pas dans chacun de ceux auxquels Irving s'adressait.

"Tous les oiseaux du monde un jour se réunirent
Oiseaux de toutes espèces, connues ou inconnues...."

Sa voix accompagna les yeux de ses interlocuteurs vers un tableau recouvert d'oiseaux ; si l'idée en était charmante, leur nombre dans l"espace aussi réduit que celui qu'une toile rendait un sentiment presque désagréable.

La violoniste joue use parfaitement du temps lui étant imparti. Comment le sait-elle ? De nouveaux visages émergent des spectateurs ne regardant plus que Fleur et son violon. Cette prestation permet à l’orchestre de changer leurs instruments ainsi que leur partition sans se faire remarquer. A la fin du solo des applaudissements à la fois distingué et discret se font entendre dans la salle. Mais l’heure de gloire n’est que de courte durée. Alors que l’orchestre se remet en selle pour commencer la prochaine chanson le regard de la foule semble être attiré ailleurs. Malgré le son provenant de son groupe la jeune femme parvient à distinguer plusieurs mots. « Ecrivain » « Célèbre » « Disparu » « Editeur croit mort ». De nombreuses questions que seule cette personne pourra répondre.


L’homme ravagé s’adressant à Joseph ne semble ne l’écouter que d’une seule oreille. Hochant brièvement la tête de temps en temps pour indiquer qu’il l’écoute avant de lui répondre à voix basse.

- D’accord, d’accord. Vous le faites pour combien alors ? Tout le monde parle le langage de l’argent.

Le protestant peut voir pas trop loin de lui un spectacle intriguant. Un homme à la mine sévère vendant des tableaux des plus colorés. Il semble être là pour se faire un nom ou, pire, semble être un artiste débutant.


L’homme en costume face à Irving semble intéressé par sa justification mais hausse les sourcils face à sa dernière phrase.

- Mais les oiseaux ne peuvent-ils pas déjà se réunir partout où ils veulent ? Quand on doit voler rien ne doit être inaccessible. Aucuns lieux et ils peuvent se faire entendre de leur chant.
Son regard se perd un instant sur les tableaux et en pointe un du doigt. Celui avec le plus de couleur.

- Vous le vendez combien ?


Un large sourire se forme sur le visage de l’homme parlant avec Daisy.

- Je peux vous proposez ce que vous voulez. De l’argent. Un poste haut placé à Occidental Petroleum ? Mais quelque chose me dis, qu’une femme de votre calibre, ne soit pas intéressée par ce qui intéresse normalement les Hommes. Dites moi votre prix.

En parlant d’affaire, la veuve Funderburker remarque un peintre peignant des oiseaux sur le point d’en faire une.

L'homme avait l’œil, il avait choisi le tableau le plus précieux de tous... Une préciosité qui n'était pas due à ce qui était peint sur la toile, cependant. Les doigts du jeune peintre se pressèrent tout contre, blanchissant ses phalanges.

Quelque chose doit les en empêcher, s'ils ne l'ont pas déjà fait alors...

Quant à Irving, il devait empêcher la réunion de son tableau et des mains du gentleman.

Il est malheureusement déjà réservé, vous avez l'oeil... Mais j'en ai d'autres à disposition.

Dit-il en présentant maladroitement d'autres tableaux de même facture. Il avait un projet bien-sûr, mais s'il pouvait faire affaire avant... L'Office attendait sa dîme, et Irving avait été un peu à court ces derniers temps... Et ce ne sont pas les sons des violons qui les attendriraient, si jamais il échouait.

Bien que l'attention principale du pasteur semblait se porter ailleurs, les mots de l'interlocuteur ne lui avaient pas échappés. Pourtant, ses yeux ne se détournent pas de l'artiste qu'il a en joue, et, dans un premier temps, aucune réponse ne semble venir. Après un léger soupir, son buste se retourne face au buffet, duquel il pioche une coupe de champagne, puis, réflexion faite, Joseph finit par reprendre le cours de la discussion.

- L'église accepte les dons aussi généreux soient-ils. Puisse Dieu vous être favorable si vous contribuez à aider ses fidèles.

Le regard de l'homme de foi, aussi pétillant que son breuvage, se détourne à nouveau du misérable en quête du fameux artiste. Joseph en profite pour jeter un œil aux toiles, s'essayant à jauger la valeur de ces œuvres par pur divertissement puisqu'il n'était pas client.

Un temps d'arrêt avait été marqué, mais c'est finalement le protestant qui reprend en premier.

- Je peux peut-être faire quelque chose, au moins essayer... Mais si vous comptez sauver cette personne, je vous conseille de mettre toutes les chances de votre côté, et cela passe par la prière, le don, la foi. ajoute-t-il en retrouvant le regard du malheureux, l'air grave.

- Parlez-moi de cette personne. Est-ce urgent ?